• Chapitre 60

    Shen reste figé quelques instants. Puis il tend lentement la main, sous le soleil ardent de midi, et l'agite devant les yeux de Zhao. Le regard de Zhao a un subtil soupçon de misère et de confusion, et ne réagit pas du tout aux mouvements de Shen.

    Le cœur de Shen se serre. À son silence, Zhao sent que quelque chose ne va pas et se tourne par réflexe sur le côté :

    "Shen Wei ?"

    Zhao fronce les sourcils, et soudain, il tend la main, s'agrippant précisément à la main de Shen, comme s'il s'attendait à ce que Shen fasse un tel geste. La main de Shen est froide comme de la porcelaine, et Zhao ne dit qu'après un moment de silence :

    "Oh... alors quelque chose ne va pas avec mes yeux ?"

    Ses yeux ne peuvent pas voir, et le regard de Zhao semble donc exceptionnellement misérable, flottant sans aucun endroit où se reposer. Shen serre soudainement les poings, et force sa voix à rester basse :

    "Je t'emmène à l'hôpital tout de suite."

    En chemin, Zhao est exceptionnellement calme, il ne dit presque rien. Et qui sait ce qu'il pense.

    Lorsqu'il descend de la voiture, il arbore parfois un air perplexe tout en marchant. C'est vraiment pénible pour un homme ordinaire de perdre soudainement la vue. Il ne sait plus quelle jambe lever quand il marche, et il ne peut s'empêcher de s'agripper à tout ce qu'il peut atteindre... même si Shen lui tient la main. Parfois, il ne peut pas dire dans quelle direction Shen le tire, surtout lorsqu'ils prennent un virage.

    Ceux qui ne voient pas bien ont généralement leurs autres sens aiguisés, mais c'est le résultat d'une habitude à long terme et d'un entraînement subconscient. Si une personne perd soudainement la capacité de voir, ses réflexes sont ralentis et elle ne peut s'empêcher de trop se concentrer sur ce qu'elle entend. Sans sa vision, il est difficile de discerner ce que représentent tous les sons ; en outre, son sens de l'équilibre est également affecté, et il lui faut beaucoup de temps pour réagir à Shen qui le tire.

    Peut-être que le visage du fantôme l'a frappé très fort, ou que ce sont les nombreuses blessures qu'il a accumulées, mais Shen trouve son visage exceptionnellement pâle. Zhao semble être assez calme en ce qui concerne la cécité : il ne panique pas, il ne se plaint pas non plus. Il arbore seulement un regard sans émotion, tandis que ses sourcils se froncent subtilement.

     

    Shen sait très bien que Zhao fait aussi la même tête en temps normal, c'est juste qu'il change d'expression instantanément quand il voit que quelqu'un le regarde... mais maintenant il ne peut pas dire si les gens le regardent ou non.

     

    L'expression de Shen s'assombrit brusquement, et un soupçon de férocité émerge entre ses sourcils. Pourtant, ses mains aident Zhao à avancer avec une tendresse croissante.

     

    Les infirmières tremblent presque de peur lorsqu'elles lui prennent Zhao. Elles ne peuvent s'empêcher de trouver que cet homme à lunettes ressemble beaucoup aux mafiosos discrets des films policiers qui massacrent les gens comme des porcs, mais prient Bouddha et sont végétariens.

     

    Comme prévu, les yeux de Zhao n'ont aucun problème notable : aucune blessure, aucune maladie, et pourtant il ne peut pas voir... les médecins trouvent cela très étrange, et après presque une journée entière, ils laissent subtilement entendre que la cécité temporaire pourrait être d'origine mentale, et lui conseillent de consulter un psychiatre.

     

    Quand ils sortent de l'hôpital, le ciel est déjà sombre. Et finalement, tel un cafard robuste, Zhao s'adapte à la vie d'aveugle avec une rapidité choquante.

     

    Alors qu'ils quittent l'hôpital, Zhao attrape Shen et dit : "Le ciel est probablement sombre."

     

    Shen est le plus effrayé par le fait qu'il ne parle pas, il s'empresse donc de demander pour qu'il en dise plus : " Comment as-tu su ? ".

     

    Zhao dit : "Je sens que l'air est un peu plus humide, et plus frais, donc le soleil est probablement couché."

     

    Shen ouvre la porte de la voiture, une main guidant son chemin, l'autre bloquant le plafond de la voiture pour qu'il ne se cogne pas la tête. Puis il se penche et l'aide à attacher sa ceinture de sécurité, et en se relevant, il voit Zhao sourire. Shen demande : "Pourquoi souris-tu ?"

     

    Zhao dit : "Je me disais que si un jour je suis vieux et muet, et que vous êtes toujours prêt à vous occuper de moi comme ça. Et si je ne reconnaissais plus les gens, et que je t'appelais papa ?"

     

    Shen ne répond pas.

    Même si il est heureux de voir Zhao sourire, Shen ne peut pas comprendre son sens de l'humour excentrique. 

     

    Zhao fantasme pendant un moment, et rit même. Ses mains commencent à bouger dans tous les sens ; Shen s'installe sur le siège conducteur, et prend sa main. Zhao la secoue doucement : "Oi, si je t'appelle papa, tu ne peux pas répondre, ne prend pas avantage de moi quand je suis stupide."

     

    Shen est plutôt impuissant : "Ce serait bien si tu étais stupide."

     

    "Quoi ?" Zhao fint d'être choqué, et attrape son col. "Qu'est-ce que tu veux me faire ? Tu veux m'enfermer dans un jeu d'amour forcé ?"

     

    Shen cligne des yeux. Il sait que Zhao raconte ses bêtises habituelles, pourtant il ne peut pas s'empêcher de s'imaginer...

     

    Zhao ricane d'un air pervers, et continue, "En fait, je pense que c'est une possibilité."

     

    Shen est encore silencieux.

     

    Alors que la voiture commence à avancer, Zhao ne peut plus supporter d'avoir été introverti presque toute la journée et commence à faire un spectacle.

     

    Il trouve le bouton pour ajuster son siège, et il le fait bouger d'avant en arrière, encore et encore, comme un idiot de singe nouveau-né qui s'amuse dans la voiture. Il présente également ses idées à Shen. "Hey, je vais te dire, être aveugle est en fait assez marrant. Il y a une salle de privation sensorielle en centre ville, et ça coûte 40 pour un tickel, alors maintenant, j'économise 40 dollars."

     

    Shen répond, et sourit de façon réluctante, il ne peut pas vraiment comprendre comment ça peut être marrant.

     

    Shen arrête la voiture devant chez Zhao, et lui rappelle de ne pas bouger. Et pourtant, une fois la voiture arrêtée, Shen voit Zhao marcher dans la rue de lui même, s'entraînant à marcher en ligne droite comme si il avait des échasses.

     

    La ligne droite n'est pas mauvaise, c'est juste qu'il fonce droit sur un lampadaire.

     

    Shen se précipite en avant et soulève Zhao par la hanche, et les côtes de Zhao repose sur l'épaule de Shen.

    Peut-être que c'est une expérience saisissante d'être soulevé en étant aveugle, quand Shen le repose, Zhao siffle joyeusement.

     

    "Je trouve que mon équilibre est encore bon, je peux marcher droit." dit Zhao, et ensuite il baisse la voix. "Peut-être que je peux même..."

     

    Même ça, Shen ne peut pas l'entendre, mais il le voit sourire doucement. 

     

    Shen tapote son bras, et se baisse. "Il y a des escaliers devant, je vais te porter."

     

    Zhao se tient sur le côté, souriant, et ne dit rien.

     

    Shen se tourne, et demande doucement. "Quoi ? Allez."

     

    Zhao trouve la main de Shen, la caresse doucement, et ensuite la lève, et baisse sa tête pour embrasser tendrement le dos de sa main. "Je ne peux pas te laisser me porter, je suis trop lourd, et si tu te blessais ?"

     

    Shen ne dit rien.

     

    Celui-là ne comprend probablement pas qui l'a porté à la maison hier soir.

     

    Après avoir dit ça, Zhao marche tout droit. Si il n'avait pas tapé doucement les escaliers avec son pied pour savoir où ils étaient, Shen aurait pu croire qu'il avait retrouvé la vue.

     

    Il monte à l'étage, la tête haute et la poitrine en avant ; montant doucement les escaliers, une marche à la fois, chacune étant à la même distance, il finit par arriver à l'ascenseur, il trouve le bouton, et attend que Shen le rejoigne.

     

    Shen marche avec des pas lourd volontairement. "Comment tu as su que l'ascenseur était là ?"

     

    Zhao dit de façon arrogante et sans honte : "Quelqu'un d'aussi observateur de moi devrait connaître l'endroit où il vit par coeur, pas vrai ? Combien il y a de marches dans l'escaliers, comment de pas des escaliers à l'ascenseur, je n'ai pas besoin de voir, je sais tout ça."

     

    Shen sait qu'il raconte des conneries, comme si il était vraiment si intelligent.. il ne peut même pas trouver sa tasse de thé et ses chaussons sans bouger ses mains dans tous les sens.

     

    Il doit avoir compter les pas cet après-midi et s'en ait souvenue. 

     

    C'est probablement dans sa nature : peu importe ce qu'il se passe, Zhao doit toujours donner aux autres que "c'est sans importance". Parfois, même quand les autres savent que c'est important, ils ne peuvent s'empêcher d'être influencé par son attitude. 

     

    Il est si désireux de sauver la face.

     

    Zhao ouvre la porte et entre, il entend une voix en dessous de lui. "Si tu oses marcher sur ma queue, tu es mort."

     

    "Da Qing ?"

     

    Zhao se baisse et le caresse. Da Qing sans immédiatement que quelque chose ne va pas ; il monte le long de son bras, le regarde attentivement, et demande "Qu'est-ce qui ne va pas avec tes yeux ?"

     

    Zhao entre dans l'appartement avec ses mains devant lui, et dit négligemment, "Mes capacités sont diminuées."

     

    Shen le fait reculer. "Soit prudent."

     

    Zhao est presque rentré dans le cadre de porte.

     

    Da Qing est choqué, il saute de sur lui, et ensuite sur le sofa rapidement. "Qu'est-ce qu'il se passe !?"

    Ensuite il fix eShen, avec un regard interrogatif... Vu que Shen est déjà allé au n°4 Bright Avenue, Da Qing n'a pas besoin de cacher le fait qu'il est un chat parlant.

     

    Shen dit immédiatement. "C'est de ma faute."

     

    Zhao ne sait pas si il doit rire ou pleurer. "En quoi c'est de ta faute ?"

     

    Ses mains attrapent l'air, et Da Qing le regarde avec ses mains en l'air, il fait un visage de chat ennuyé avec les yeux froncés, et dit "Je fais seulement ça parce que tu me fais pitié." et il glisse sa tête sous la main de Zhao.

     

    Zhao sourit, et dit avec une voix pas clair. "Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de bonheur sans malheur."

     

    Il trouve le canapé et s'installe, sort une cigarette, et la tend à Da Qing de façon autoritaire. "Je ne peux pas voir, allume-la pour moi !"

     

    Après un moment de silence, il se roule en une boule de poile, regardant de l'autre côté, l'ignorant totalement.

     

    Shen prend sa main, allume la cigarette avec un briquet, et lui tend un cendrier. 

     

    "La nuit dernière, je suis tombé sur une petite fée corbeau", réfléchit Zhao, et résume succinctement ce qui s'est passé l'autre nuit, avec un peu de chipotage. Il continue, "et il m'a parlé de... euh, d'un endroit de la mer de l'Ouest, et d'un autre de la mer du Nord, à combien de kilomètres du rivage, et puis je n'ai pas bien compris ; il parlait probablement d'une montagne." 

    Da Qing est choqué, mais Shen comprend immédiatement, et son visage se durcit. "Ne parle pas de ça, comment tu as blessé tes yeux ?"

     

    "N'en parles même pas." Zhao secoue la main, et décrit rapidement sa mésaventure, expriment clairement sa colère vers la clochette.

     

    Da Qing se lève soudainement. "Quel genre de clochette ?"

     

    "Je l'ai." Shen met la main dans sa poche, et sort une clochette dorée poussiéreuse. "Tu parles de ça ?"

     

    Les iris de Da Qing se contractent, et il n'attend pas que Zhao réponde, pour l'interrompre. "Pourquoi tu as ça avec toi ?"

     

    Shen regarde Zhao, s'arrête, et dit subtilement. "La personne qui t'a ramené hier soir me l'a donné."

     

    Da Qing tourne en rond autour de la main de Shen, fixant la petite balle pendant un moment, avant de dire avec une voix basse. "C'est la mienne."

     

    "Ca vient de ... mon premier propriétaire." Da Qing regarde Zhao, "Il l'a mit autour de mon cou il y a une centaine d'année, mais je l'ai perdu à cause d'un accident."

     

    Zhao tend sa main "Laisse moi voir."

     

    Shen recule. "Tu ne peux probablement pas la soulever encore."

     

    Maintenant qu'il pense à l'histoire noir de l'autre soir, Zhao souffle un rond de fumée avec mélancolie ; être incapable de soulever une clochette qui pend au cou d'un chat... à quel poind est-ce pathétique !

     

    Au même moment, Da Qing baisse la tête, prend la clochette dans la bouche, et sans un mot, saute par la fenêtre.

     

    Aussi dodu et insouciant qu'il soit habituellement, il est assez rare qu'il semble aussi occupé sur le plan émotionnel.

     

    Zhao écoute "Da Qing ?"

     

    "Partit." Shen ferme la fenêtre, se baisse, et caresse le bord de ses yeux. "Je vais trouver un moyen de te soigner."

     

    Zhao pense à quelque chose, et rit soudainement. "En fait, ce n'est pas pressé."

     

    Shen a l'intuition qu'il ne va rien dire d'approprié ensuite. Comme attendu, Zhao est toujours pervert et persistant, même en étant aveugle, et il continue. "Maintenant que je ne peux pas voir, c'est assez inconvénient, tu peux prendre une douche avec moi ce soir ?"

     

    Shen repousse ses mains de porc sales et lascives qui ont commencé à molester ses fesses. Sans un mot, il se tourne et se rend dans la cuisine.

     

    Zhao perd son sourire, ferme les yeux, et se penche sur le canapé. Il écoute les bruits venant de la cuisine, et dans sa pénombre, il ressent une rare tranquillité. Il aime presque ce moment, et alors qu'il est de plus en plus détendu, il voit rapidement des ombres étranges, vaguement en distance.

     

    Il ouvre brusquement les yeux, pourtant il ne peut toujours rien voir. Les ombres ont disparues.

     

    Zhao calme son esprit et se concentre. Il ferme encore les yeux, comptant ses respirations et faisant disparaître les pensées parasites de son esprit, et il commence de nouveau à voir des ombres. Sur sa gauche, il voit une masse verte, brillant et vacillante, vraiment doucement, et avec beaucoup de beauté dans ses mouvements flous... la silhouette est assez familière.

     

    Après un moment, Zhao finit par se dire : c'est la direction de la fenêtre, et il y a une plante que lui a offert un ami.

     

    C'est... le troisième oeil.

    Il semblerait que le troisième oeil entre ses sourcils ne dépende pas de la vue.

     

    Zhao concentre son attention entre ses sourcils, et il commence à clairement voir son environnement. Il "voit" de plus en plus de choses autour de lui : la plante sur le rebord de la fenêtre, les poils de chat sur le canapé, quelques vieux livre sur l'étagère... et la peinture ancienne la plus précieuse sur le mur.

     

    Mais les choses comme le canapé, la table basse, le lit... les choses sans esprit spirituel sont toujours invisible pour lui.

     

    Zhao "regarde" son propre corps, et il voit un tourbillon de lumière blanche flotter à travers ; une boule lumineuse blanche se trouve sur son épaule droite, mais à gauche, rien.

     

    Ce genre de lumière lui est très familière... il a l'impression de l'avoir déjà vu quelque part.

     

    Soudainement, Zhao se lève, son genoux frappe dans la table basse, mais ça lui est égale, alors qu'il trébuche dans la cuisine.

     

    Il entend le son de la découpe, mais il ne voit pas Shen, qui est entouré dans les ténèbres, ou quelque chose encore plus sombre que les ténèbres.. la seule chose visible est le petit pendant, qui contient une petite boule de lumière blanche, identique à la celle sur son épaule droite.


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